--------------DOULLENS-------------
-----------LA SALLE DU ---------------COMMANDEMENT UNIQUE--
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Doullens : d’une plaque commémorative....
à la salle du Commandement unique
par Pierre FOUCART
I- Albert Rousé promoteur de la commémoration du Commandement unique.
Sénateur-maire de Doullens durant toutes les années de guerre, Albert Rousé[1] a vécu sur place, directement et personnellement les événements dramatiques de mars 1918 : il a été informé de la réunion qui s'est déroulée, quasi impromptue, le 26 mars 1918 à Doullens entre les plus hautes autorités civiles et militaires, tant françaises que britanniques ; il a eu rapidement l'intuition, mêlée d’espérance, que ce grand conseil tenu dans son Hôtel de ville était bien l'acte décisif et précurseur de la Victoire.
C'est ainsi qu'au lendemain de l'armistice du 11 novembre 1918, Albert Rousé réunit, le 30 novembre suivant, le Conseil municipal pour célébrer la défaite de l'Allemagne et la fin des combats. Il expose que la Ville de Doullens pouvait être fière à juste titre d'avoir réuni le 26 mars 1918, dans ses murs, Poincaré, Clemenceau, Milner, Foch, Douglas Haig et Pétain. Cette mémorable date devait, selon lui, être « gravée sur l’édifice communal pour rappeler aux générations futures qu'en cet endroit, et au moment le plus grave de l'Histoire, s'était fixé le sort de l'humanité toute entière ».
Albert Rouzé proposa donc à la fois, l'apposition sur la façade, ou à l'intérieur de l'Hôtel de ville, d'une plaque commémorative de cet événement et l'érection, par souscription publique internationale, d'un monument destiné à glorifier cet acte décisif de la victoire. L'ensemble des conseillers municipaux adopta avec enthousiasme cette double proposition et décida la constitution d'un Comité en vue de la réalisation de ce magnifique projet.
Interviewé par un journaliste du Matin, présent à Doullens au jour du premier anniversaire du Commandement Unique, le 26 mars 1919, Albert Rousé formula alors le souhait que le futur monument du Commandement unique soit édifié dans le jardin même de l'Hôtel de ville, là où le Président Poincaré, le Président du Conseil Clemenceau, Foch, Pétain et leurs adjoints, avaient attendu le début de la réunion. Il disait aussi l'imaginer à la façon des Bourgeois de Calais, où figureraient en marbre les protagonistes de la grande scène ; et le journaliste de rappeler que c'est à Doullens, que « palpita le premier souffle et battit le premier coup d'aile de la victoire ». Doullens était consacré : « berceau de la Victoire », pour reprendre l'expression d'Arthur Lenglet dans son ouvrage sur Doullens pendant la guerre[2].
II- Les préparatifs : aléas électoraux et concurrence du monument aux morts de Doullens
L'issue du premier scrutin municipal tenu au sortir de la guerre, en novembre 1919, s’avéra défavorable à Albert Rousé dont la liste fut battue au profit de celle menée par le docteur Joseph Voisselle[3], son principal adversaire politique. Tirant conséquence de ce vote, Albert Rousé renonça à son mandat de conseiller municipal. Il ne se représenta pas non plus aux élections sénatoriales, de sorte qu'à la fin de l'année 1919, il n'était investi d'aucun mandat électif.
[1]Albert Rousé, (Louvencourt, 5 août 1854- Doullens 16 août 1938) conseiller municipal de Doullens en 1884, conseiller général en 1897, il est député de la Somme de 1902 à 1909, puis sénateur de 1909 à 1920. Maire de Doullens de 1892 à 1919, puis de 1923 à 1935. Il appartenait à la Gauche Républicaine. Dans sa sépulture à Doullens se trouve son buste en marbre signé Valentin Molliens.
[2]Lenglet, Arthur. « Les semaines tragiques de Doullens en 1918 », imp. Ch. Dessaint, Doullens, 1920,47 p.
[3]Joseph Georges Voisselle, (Doullens 12 octobre 1878- Août 1933) médecin très populaire pour son dévouement et son désintéressement, il est élu conseiller municipal à compter de 1898,
et adversaire politique d'Albert Rousé, il sera maire de Doullens de décembre 1919 à novembre 1923 ; il conserve son mandat de conseiller jusqu'à son décès. Le musée Lombart de Doullens conserve son buste en plâtre par Georges Legrand. Un autre buste en bronze
est érigé dans le jardin du monument aux
morts ; il est de Gaston Lesieux.
L'année suivante, en octobre 1920, un Comité provisoire du monument du Commandement unique fut constitué ; le député Anatole Jovelet[1] et le docteur Joseph Voisselle en assumaient la coprésidence ; Albert Rousé n'était pas pressenti pour en faire partie ; il ne le sera pas plus pour lors de la mise en place du comité définitif, dont une délégation, accompagnée du Préfet de la Somme, fut reçue début août 1920 par le Président du Conseil Millerand ; ce dernier en acceptait la Présidence d'honneur ; Poincaré et Clemenceau avaient, de leur côté, donné leur adhésion de principe. Le Comité prévoyait de lancer une souscription nationale et internationale ; ce projet de monument paraissait donc en bonne voie, même si sa réalisation ne manquerait pas d'être longue et ardue. Un arrêté ministériel du 16 novembre 1921 officialisait ce comité, qui était de ce fait autorisé à faire appel à la générosité publique (loi du 31 mai 1916)[2].
Au même moment, un Comité dit « du monument aux morts » s'était aussi constitué, début octobre 1920, sous les auspices de la Municipalité et des anciens combattants. Une souscription publique fut lancée auprès de la population locale. Albert Rousé versa une somme de 250 francs, à l'instar du maire, des adjoints et de la plupart des conseillers municipaux. Fin octobre 1920, les fonds réunis s'élevaient à 25 000 francs, somme abondée par une subvention de la ville de Doullens, de 5000 francs.
Ce « monument aux morts », dont le coût était estimé alors à 30 000 francs, (25 000 francs pour le monument, 5 000 francs pour l'aménagement des abords), venait quelque peu en concurrence du « monument du Commandement unique », étant observé que, dans le même temps, sous l'instigation de Louis-Lucien Klotz, sénateur et président du Conseil général de la Somme, un « Panthéon Interallié » était projeté aux portes d'Amiens. L'architecte Louis Duthoit en établissait un avant-projet, figurant dans les documents diffusés à la faveur de la souscription publique ouverte à ce sujet. Le conseil de Doullens votera ainsi, en juillet 1928, une subvention de 6 000 francs pour la réalisation du monument, qui ne le sera finalement pas, les fonds recueillis ayant été dilapidés notamment par Louis -Lucien Klotz.[3]
Se démarquant des autres communes de l'arrondissement, la ville de Doullens avait jugé nécessaire de prendre un temps de réflexion et d'étude pour la réalisation d'un monument aux morts, pourtant réclamé avec force par les parents des soldats morts pour la France et les associations d'anciens combattants tout récemment constituées. Le journal « le Petit Doullennais » observait, dans son édition du 16 octobre 1920, qu'il convenait de mettre à profit ce retard pour « procéder à un choix judicieux et discret parmi toutes les pierres tourmentées plus ou moins artistement », qu'offraient les sculpteurs.
Mais ce temps de réflexion s'expliquait aussi par l'obligation faite aux villes de plus de 10 000 habitants, par la loi du 14 mars 1919 (dite loi Cornudet) d'établir un plan d'aménagement et d'embellissement ; les deux monuments projetés, (monument aux morts et monument du commandement unique) y étaient considérés comme des éléments importants de structuration urbaine, à partir des axes de circulation à privilégier. Ce n'est qu'en 1922, après le dépôt par la commission dite d'embellissement[4] de son rapport, que le Conseil municipal retint l'idée que le « monument du Commandement unique » devait être érigé dans le jardin même de l'Hôtel de ville, tandis que le « monument aux morts » le serait à proximité du cimetière militaire. Sur ce dernier point, la position du Conseil devait évoluer sous les critiques de plusieurs associations locales.
III- Les Plaques commémoratives de l'atrium de l'hôtel de ville et le Calvaire Foch (1920-1921)
Entre temps, pour répondre à la demande de commémoration fortement exprimée au plan local, la municipalité décida, début 1920, d'apposer dans l'atrium de l’Hôtel de ville, des plaques commémoratives récapitulant les noms des 240 doullennais morts pour la France. Leur inauguration eut lieu le 16 juin 1921 sous la présidence du maire, le docteur Joseph Voisselle.[5]
De même, à l'initiative du docteur Ernest Cayet[6] et de l'abbé Jules Chaillet, curé-doyen de Doullens, il était érigé, en grande procession, le 26 juin 1921, un calvaire dit « de la Reconnaissance », sur les hauteurs dominant au nord la ville, là même où était tombé, en août 1914, le premier obus de 240 mm tiré par les Allemands.
Ce calvaire, dénommé depuis « Calvaire Foch », avait été conçu par Pierre Ansart, architecte-décorateur à Amiens. Il avait imaginé de réutiliser la croix d'une tombe du cimetière de Doullens dont la concession était expirée. La croix et son grand Christ avaient échappé aux destructions de la guerre de 1870/1871, puis aux bombardements du printemps 1918. Sur l'imposant socle, en forme de Golgotha, Pierre Ansart apposa un médaillon en haut-relief du Maréchal Foch et un bas-relief à l'effigie de trois soldats, un aviateur et deux fantassins, symbolisant les deux générations du feu. Ces œuvres d’Albert Roze[7], en bronze, sont datées de 1921[8] ; le monument a été réalisé par l'entreprise Courtois de Doullens.
[1]Jovelet Anatole ((1869-1954) né à Beauval, élu en 1897 maire de Saint-Léger-les-Domart, puis conseiller général en 1907, député de la Somme en 1914, enfin d sénateur en 1923, il sera le défenseur attitré des populations rurales du département. Il succède en 1929 à Lucien Klotz pour la présidence du Conseil Général, qu'il conservera jusqu'en 1940. Il ne prend pas part au vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, en juillet 1940.
[2]Journal « Le Petit Doullennais » 1921 ?
[3]Klotz Louis-Lucien (Paris, 1868- Paris, 1930). Ministre de l'Intérieur d'avril à mai 1913, il aura à faire face aux manifestations hostiles à la loi portant à 3 ans la durée du service militaire. Durant la guerre, il préside les commissions des finances et des dommages de guerre, avant d'entrer dans le gouvernement de Georges Clemenceau, en qualité de ministre des Finances ; il y lance le slogan : « le boche paiera » Président du Conseil général de la Somme en 1920, élu sénateur en 1925, sous l'étiquette gauche démocratique, il est poursuivi en novembre 1928 pour malversations et condamné pénalement en juillet 1929. Il avait démissionné de ses mandats électifs en décembre 1928, et décède ne juin 1930.
[4]Journal Le Petit Doullennais du 3 juin 1922
[5]Journal Le Petit Doullennais du 18 juin 1921
[6]Cayet Ernest Jean François, docteur en médecine à Doullens ; pendant toute la guerre, il soigne inlassablement blessés militaires, réfugiés et habitants de la ville. Le général Foch, qui, commandant du 20° corps d'armée, y avait fixé son Q.G., a logé du 7 au 24 octobre 1914 chez lui. Le docteur Cayet a été nommé chevalier dans l'ordre de la légion d'honneur, le 7 mai 1926.
[7]Roze Albert (Amiens, 1861- Amiens 1952), boursier de la ville d'Amiens, il est admis en 1879 à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris, où il étudie la sculpture sous la direction de Dumont puis de Bonnassieux , après plusieurs montées en loge pour le concours du Prix de Rome, il revient à Amiens pour prendre la direction de l'école régionale des Beaux-Arts de la ville ; il sera le sculpteur attitré de l'Amiens de la fin du XIX et du début du XX siècle, avec une œuvre diversifiée ; statues religieuses , monuments publics, tombe, monuments aux morts, médailles, bustes. Il a laissé dans Amiens une forte empreinte profonde tant par ses statues que par les élèves qu'il a formés.
[8]Journal « Le Petit Doullennais » du 2 juillet 1921 « La fête patriotique et religieuse de Dimanche » .Monseigneur Lecomte, évêque d'Amiens préside la cérémonie, au cours de laquelle est chantée une cantate d'Alfred. Voisselle : « A l'étendard »'
Dans ces deux sculptures, Albert Roze se démarquait des monuments commémoratifs déjà en place dans l'arrondissement, par la recherche d'une sobre héroïsation du soldat de la Victoire au travers tant de la figure du chef prestigieux, le Maréchal Foch, que de celles de trois soldats représentés sous forme d'un triptyque allégorique. Par la suite, Albert Roze réutilisera les études y afférentes pour les inclure notamment dans le monument aux morts de la Ville d'Amiens, réalisé plus tardivement en 1933.
Courant 1939, Madame veuve Ampen, propriétaire du terrain d'assiette du calvaire alors dénommé : « monument du souvenir et de la reconnaissance » l'avait donné à l'association du Souvenir Français, à charge d'en assurer l'entretien[1] . Des copies en plâtre du médaillon et du bas-relief d'Albert Roze devaient être, en 1945/47, placées dans la salle du Commandement unique à l'Hôtel de ville.
IV- La réalisation du monument aux morts de Doullens, (1923-1924)
En 1923, la Commission du monument aux morts de la ville de Doullens organisa un concours auquel participaient notamment le cabinet amiénois d'architecture Pruvost-Philippe-Grellet, anciens collaborateurs de Paul Delefortrie, auquel ils avaient succédé à son décès en 1910, et Marcel Gogois, un jeune architecte amiénois tout récemment diplômé et ancien combattant[1].
La Commission retint le projet de Marcel Gogois ; il proposait un portique-propylée développant trois arcades portées par quatre piliers octogonaux[2] ; élevé dans un style antique, il était dépourvu de toute sculpture et fermait la perspective d'une allée arborée. La liste des morts pour la France devait être gravée sur les faces des piliers. Son architecture sobre privilégiait le matériau : la pierre d'Euville de couleur blanche et une épure d'un classicisme renouvelé proche de l'Art Déco. La maquette, présentée au Comité a été déposée vers 1938 dans la salle du Commandement unique, où elle y est toujours conservée.
La municipalité de Doullens souscrit, par délibération du 11 juin 1924, à ce choix, que confirme le 9 juillet suivant le Préfet de la Somme. Le devis établi par Marcel Gogois s’élevait, au 4 juillet 1924, à 50 000 francs ; s'y ajoutaient les frais de clôture et d'aménagement des abords, suivant deux marchés passés en septembre 1924 pour la clôture et en novembre 1924 pour les abords.
Le choix du projet de Marcel Gogois répondait aux préconisations de la Commission
d'embellissement, qui dans son rapport publié dans l'édition du Journal Le Petit Doullennais du 3 juin 1922, faisait part de sa crainte de ce que, « sous la pression d'une opinion mal
préparée et peu conseillée, le Conseil municipal ne se laisse faiblement aller à des résolutions qui contribuent à gâcher irrémédiablement la ville ...préservée jusqu'ici de toute exposition de
sculpture médiocre et de ces affreux granits taillés en série, qui enlaidissent à jamais les carrefours de nos belles routes picardes ».
Le même journal n'avait pas hésité en octobre 1923, lors de la discussion par le Conseil municipal du choix définitif du monument, à publier un éditorial rappelant qu'il n'est plus une commune de
l'arrondissement et dans « la Marche artésienne », où les places publiques ne
soient « encombrées de bronze et de marbres hurleurs : dans les jardins picards, les « navets » ont
fleuri... ».
[1] Marcel Gogois (Amiens, 13 juin 1899, ancien élève de l'école régionale des beaux-arts d'Amiens, il intègre l'ENBA de Paris en juillet 1917. Mobilisé en avril 1918 et affecté dans l'arme du génie, il ne sera rendu à la vie civile qu'en novembre 1919 ; il reprend alors ses études artistiques et obtient son diplôme d'architecte en 1923 ; il s'installe à Paris, puis à Amiens de 1936 à 1967, avant de partie pour Cannes. Il participe activement à la reconstruction d'Amiens après la guerre 1939/1945. Il est le neveu d'Albert Roze et le fils d'Emile Gogois, professeur de dessin au Lycée d'Amiens de 1887 à1924.
[2] Par son parti architectural et son style, ce monument est à rapprocher de celui de la ville d'Albert, qui comporte un portique de plusieurs travées, à l'arrière d'une statue réalisée par le sculpteur Charles Gern
La mise en garde du journal « Le petit Doullennais », entendue par les élus municipaux, portait en germe le choix qui sera fait ultérieurement de « sanctuariser » la salle où avait été signé l'acte dit du Commandement unique, et ce, de préférence à un monument érigé à l'extérieur. Toujours est-il que, de retour au sein du conseil municipal, à la faveur d'une élection partielle ayant eu lieu début avril 1923, Albert Rousé mettait à profit le vote, le 15 février 1924, par l'assemblée communale, d'un crédit complémentaire de 10 000 francs destiné au financement des abords et de la clôture du monument aux morts, pour exprimer publiquement ses réserves quant à l'implantation dudit monument, estimant que celui-ci, projeté à proximité de la rue d'Arras, devait pour autant rester visible depuis la gare. Le site retenu devait pour autant être maintenu.
Les travaux de construction du monument débutèrent en mai 1924 avec la livraison sur place des pierres taillées, arc ogif et colonnes. En septembre 1924, l'entreprise André Tempez, qui avait soumissionné pour la somme de 17 000 francs, procédait à leur montage, sans que toutefois l'état d'avancement desdits travaux ait pu permettre une inauguration officielle le 11 novembre 1924 ; ce sera l'occasion d'une nouvelle polémique locale par voie de presse. Le monument aux morts fut finalement inauguré le 11 octobre 1925, en présence du Préfet de la Somme, du député Jovelet et du maire Henri Margry. Sa réception définitive le sera, après réalisation des abords, en mars 1926. [1]
V- L'abandon de fait du projet de monument du Commandement Unique (1929-1933)
Le monument du Commandement unique restait, quant à lui, toujours à l'état de projet ; seules avaient été apposées sur la façade de l'Hôtel de ville, deux plaques rappelant la réunion du 26 mars 1918. Au 10ème anniversaire du Commandement unique, la morosité prédominait à Doullens, amputée depuis août 1926 de sa sous-préfecture et de son tribunal par suite du rattachement de l'arrondissement de Doullens à celui de Montdidier ; les querelles de personnes continuaient aussi de prévaloir localement sur fond d'opposition frontale entre Albert Rousé, d'une part, le docteur Joseph Voisselle, et Henry Margry[2], d'autre part.
Au scrutin municipal de mai 1929, Albert Rousé, qui avait fait liste commune avec Étienne Dusevel, conseiller général, contre celle menée par Voisselle et Margry, retrouvait finalement son siège de maire. Il s'attachait alors à réactiver le projet de monument du commandement unique, dont le comité venait d'être, les mois précédents, dissous par le Préfet de la Somme. Dans une délibération du 6 août 1929, le conseil municipal acceptait que la Ville de Doullens participe à un nouveau comité; son trésorier était désigné par le Ministre des Finances en la personne du Trésorier payeur général de la Somme.
Devant le peu de fonds réunis et la difficulté d'obtenir de nouveaux subsides, outre les dissensions toujours aussi vives et persistantes au sein du Conseil municipal, Albert Rousé se résignait à laisser en suspens la réalisation du projet de monument.
VI- L'idée d'un décor peint pour la salle du Commandement unique
Abandonnant alors l'idée première d'un monument à édifier dans le jardin de l’hôtel de ville, Albert Rousé imagina de mettre en valeur la salle elle-même où s'était tenu le conseil du 26 mars 1918, en y plaçant un décor peint sur les murs de grande dimension de ladite salle. Restait à trouver un peintre réunissant tout à la fois talent, notoriété et aussi la qualité d'ancien combattant.
Le peintre Lucien Jonas[3] lui apparut réunir ces conditions : il était un peintre reconnu et consacré, ayant déjà réalisé de nombreux ensembles décoratifs ; mobilisé pendant la guerre, il avait été affecté en 1918 au Grand Quartier Général, pour y être chargé de peindre entre autres les portrait des généraux et des chefs des grandes unités. C'est ainsi qu'en mars 1918, il avait été dépêché à Senlis auprès du général Foch pour en faire le portrait d'après nature ; les rapides séances de pose accordées par le généralissime, lui avaient pour autant permis de créer des liens de sympathie réciproque ; autorisé à rester dans son entourage immédiat, pour mieux l'observer, Lucien Jonas avait été en position d'observateur privilégié, lors des journées précédant le Commandement Unique et avait réalisé par la suite plusieurs portraits des participants à la conférence de Doullens.
Enfin, Lucien Jonas était connu en Picardie, et à Amiens ; ancien élève puis collaborateur d'Albert Maignan, lequel avait légué à la ville d'Amiens sa collection d’œuvres d'art, il était en relations suivies avec les membres de la Société des amis des arts du département de la Somme, et participait aux salons qu'elle organisait, dont celui de 1932 ; il avait rencontré le 6 janvier 1932 à Amiens, M. Faton de Favernay, président de la dite société et, le lendemain, M. Jovelet, sénateur de la Somme[4]. Ce dernier, qui connaissait bien Albert Rousé, pour avoir partagé pendant plusieurs décennies les mêmes combats politiques de la Gauche Républicaine, dut le conforter dans le choix de cet artiste, au surplus témoin privilégié du commandement unique.
Entre temps, les tensions internes au sein du Conseil municipal s'étaient aggravées, en se focalisant sur une question d'adduction d'eau depuis le puits de Beaurepaire, dont Albert Rousé se disait propriétaire, ce que contestaient ses opposants. Il s'ensuivit, en décembre 1932, une démission collective de conseillers municipaux d'opposition, acceptée par le Préfet de la Somme ; de nouvelles élections municipales furent fixées au 28 janvier 1933 et les conseillers démissionnaires furent tous réélus ; Albert Rousé se retira définitivement de la vie politique locale.
C'est au même moment que, sans en référer, semble-t-il, au conseil municipal, ni même l'en avoir informé, Albert Rousé prit contact avec Lucien Jonas ; le peintre a dû vraisemblablement lui soumettre début 1933 un pré-projet sous forme d'un croquis, à partir d'une planche où apparaissaient les emplacements, qui, encadrant la fenêtre du mur du pignon ouest, devaient recevoir le décor peint ; il n'est pas exclu que les deux scènes relatant le déroulement du conseil du 26 mars 1918 aient été d’ores et déjà esquissées.
VII. L 'élaboration du projet d'aménagement intérieur de la salle du Commandement unique»
Début 1935, le Ministère des Finances enjoignit au préfet de la Somme de faire procéder à la dissolution du second Comité pour l'érection du monument du Commandement unique : celui-ci n'était plus en mesure de réaliser l'objet pour lequel il avait été constitué ; pour autant, ledit comité disposait d'un actif de 8 000frs, somme qui, en cas de dissolution, devait être affectée à une œuvre de bienfaisance ou d'utilité publique.
Consulté sur cette dissolution, le Conseil municipal, présidé par Henry Margry demanda, au terme d'une délibération prise le 10 juillet 1935, que la somme de 8 000 frs soit attribuée à la ville de Doullens en vue de l'aménagement de la salle du commandement unique ; Ce sera aussi l'occasion d'un échange assez vif entre le maire et un conseiller, Edouard Tempez[5], qui reprocha au premier de « ne pas avoir songé réaliser un quelconque monument dans l'esprit du promoteur de 1919 », alors que plusieurs propositions avaient été présentées et rejetées. Henri Margry y répondait par un démenti, rappelant qu'Albert Rousé s'était seulement proposé en 1929 de réactiver le projet, puis passait à l'ordre du jour.
Toujours est-il qu'un appel à projet était peu après lancé et que, lors de sa séance du 29 janvier 1936, le conseil municipal était en mesure d'examiner les trois projets déposés :
- le premier l'avait été par le sculpteur Augustin Lesieux[6], qui envisageait un important monument, dont la réalisation n'était pas compatible avec l'enveloppe budgétaire prévue.
- le second émanait de l'architecte Pierre Ansart, qui prévoyait, moyennant une dépense de 10 000 francs, pose comprise, l'installation d'un vitrail commémoratif à l'intérieur de la salle concernée.
- le troisième projet était présenté par l'architecte Marcel Gogois : il s'agissait aussi d'un monument extérieur, moins important que celui d'Augustin Lesieux, (devis inférieur à 15 000 francs).
Une quatrième proposition était alors soumise au conseil municipal à l'initiative du conseiller Edouard Tempez, resté proche d'Albert Rousé ; celui-ci exposait à ses collègues être intervenu auprès de Louis Jonas en vue d'un décor peint, dont le coût s’élèverait entre 12 000 et 15 000 francs.
Le maire Henry Margry faisait valoir, qu' en l'état, le projet de vitrail répondait à la fois à l'exigence d'une réalisation immédiate et à l'idée d'un aménagement mobilier de la salle du commandement unique, tout en convenant de la valeur exceptionnelle que présenterait pour la ville de Doullens la propriété d'une toile de Jonas ; aussi, loin de vouloir écarter cette dernière proposition, suggérait-il que la peinture évocatrice du grand événement qui décida de la victoire, puisse être acquise par la Ville à l'aide de fonds que le Ministère de beaux-Arts pourrait allouer sur les crédits prévus pour l'exposition Universelle de 1937.
Non satisfait de cette réponse quelque peu dilatoire, Edouard Tempez reprenait la parole pour rappeler les fortes raisons qui militaient en faveur du maintien de la salle dans l'état exact où elle se trouvait en mars 1918, et disait sa préférence « pour une toile signée d'un grand maître à un vitrail qui changera complètement l'aspect du lieu ». Il demandait, au terme de son intervention, que Lucien Jonas soit entendu par le conseil sur son projet. Il s'ensuivit un échange assez vif entre eux, tandis que l'assemblée municipale adoptait finalement, par 15 voix contre 5 et 1 abstention, le projet d'aménagement sous forme du vitrail commémoratif [7]
C'est donc à compter de janvier 1936, que l'idée de faire de la salle du commandement unique un lieu de souvenir et de commémoration, prenait corps avec l'assentiment du conseil municipal de Doullens, satisfait de trouver une telle issue au projet avorté de monument. Aucune allusion n'est alors pour autant faite à une commande officielle passée à Lucien Jonas. De même aucun projet d'ensemble, intégrant vitrail et peintures, ne semble avoir été non plus envisagé par les élus municipaux, soucieux de ne pas s'engager dans de nouvelles dépenses.
VII-1 Le vitrail commémoratif
Six mois donc après cette délibération, le 29 janvier 1936, la même assemblée adoptait un projet de
vitrail commémoratif, établi par Pierre et Gérard Ansart[8] ; la commande faite à ces deux artistes est
autorisée le 7 mars 1936 par le Préfet de la Somme. Le vitrail, réalisé par le maître-verrier Jean Gaudin[9], est posé courant mars 1937 ; par délibération du
7 avril 1937, le Conseil municipal en prononce sa réception définitive et autorise le versement de la somme de 10 000 francs en règlement de ses honoraires à Gérard Ansart, qualifié d'artiste
peintre-verrier à Amiens.
[1]Inventaire régional du Patrimoine, Picardie, les monuments aux morts, par Guerrini Dominique et Guerrini Jean-Etienne
[2]Margry Henry Ernest, (Domart-en-Ponthieu, 16 juin 1889- Juillet 1940). Conseiller municipal de Doullens à partir de 1909, élu en avril 1923 sur la liste conduite par le Docteur Joseph Voisselle, il est adjoint au maire, puis maire de Doullens de 7 décembre 1923 au 18 mai 1929, et à nouveau du 24 février 1934 à son décès.
[3]Lucien Jonas (Anzin, 8 avril 1880- Paris 20 septembre 1947). Ancien élève de l'école des beaux-arts de Valenciennes, il entre en 1899 à l'ENBA de Paris, dans l'atelier d'Albert Maignan et il expose à la Société des artistes Français à partir de 1904 et devient H.C dès 1907. Artiste aux talents multiples, il réalise des grandes compositions décoratives et peint de multiples portraits, scènes de vie ouvrière et paysanne, ou encore des paysages. Nommé peintre militaire en février 1915, il documente inlassablement cette période au travers de scènes de combat, paysages de destructions, types de soldats, portraits d'officiers, etc... En 1933, il dessine plusieurs modèles de billets de banque et réalise plusieurs grandes compostions religieuses pour l'exposition Universelle de 1937. C'est un remarquable coloriste et un dessinateur hors pair, sachant maîtriser et animer les grands formats de peinture.
[4]Lucien Jonas, œuvres et agendas, 1931-1934, (1 vol.), 2012, ouvrage hors commerce réalisé par Jacques Jonas,
[5]Tempez Edouard, (1882- Doullens, 5 juillet 1944) ; droguiste, conseiller municipal de Doullens ; il sera maire par interim de 1940 à1941, succédant à Henry Margry décédé en juillet 1940. , puis relevé de ses fonctions pour avoir délivré des « ausweis » à des soldats français, évadés de la citadelle de Doullens ; il est mort au cours d'un bombardement.
[6]Lesieux Augustin (Sombrin (62), (1877- 1964), orphelin de bonne heure et élevé par sa sœur aînée à Coullemont, il fréquente, jeune, l'école de dessin d'Arras, où le professeur de modelage et de sculpture, Monsieur Delrue, le remarque et l'oriente vers l'école régionale des beaux-arts de Lille où il reste quelques mois, avant d'être admis au premier essai, en avril 1899, à l'école nationale des beaux-arts de Paris ; il entre dans l'atelier de Louis Ernest Barrias et expose au Salon des Artistes Français à partir de 1902, avec « le Coup de foudre » ; il sera l'auteur de 8 monuments aux morts entre 1921 et 1925 ; proche des artistes et poètes régionalistes, il sera membre des Rosatis d'Artois , pour lesquels il réalise une statue monumentale « Rosine", présentée aux fêtes de la Rose de 1931 et1932. Il est l'auteur du buste du docteur Voisselle, exécuté en 1935, et érigé dans le jardin du monument aux morts de Doullens ; un plâtre en est aussi conservé au musée Lombard.
[7]Journal Le Progrès de la Somme du 31 janvier 1936, séance du conseil municipal de Doullens du 29 janvier 1936.
[8]Pierre Ansart (1873-1941) et son fils Gérard Ansart (1903-1991, tous deux architectes décorateurs, ont longtemps travaillé ensemble à de nombreux décors principalement religieux ; ils ont développé un style qui leur est propre, dans une proximité toujours enrichie et renouvelée de l'art Déco. Gérard Ansart a aussi créé de nombreux vitraux.
[9]Jean Gaudin (1870-1954), maître-verrier à Paris, qui a succédé à son père, Félix Gaudin, (1851-1930) dans ses activités de vitrail et de mosaïque ; Jean Gaudin entre en relation d'affaires entre les deux-guerres avec Pierre et Gérard Ansart, pour la réalisation de plusieurs projets décoratifs, notamment religieux.
VII-2 Les toiles de Lucien Jonas
Entretemps, Lucien Jonas avait, au début de l'année 1936, repris son esquisse de 1933, et la finalisait par un dessin plus élaboré au crayon et avec des rehauts de gouache des deux scènes projetées sur les emplacements prévus au départ. Dans son agenda, il note, au mercredi 29 janvier 1936 : « esquisse Doullens pour la salle du commandant unique : tableau +2 études ».[1]
Au 1° février de la même année, il est présent dans la matinée à Doullens, avant de repartir à Lille pour une « réunion Maignan », il revient le dimanche suivant à Doullens et y reste le lendemain. Aucune indication n'est donnée sur les personnes qu'il rencontre sur place ; il peut être pour autant présumé que ce voyage en période hivernale est en lien avec la décoration de la salle du commandement unique. Toujours est-il que Lucien Jonas est à nouveau à Doullens le 29 février 1936 (soit un mois après la réunion du conseil municipal du 29 janvier 1936) et y rencontre M.Rousé et M.Tempez ; la feuille de l'agenda datée du 18 février 1936 mentionnait les horaires de train et de car pour se rendre de Paris à Doullens.
Une commande avec un prix déterminé semble bien avoir été alors passée, au vu de l'état des sommes à recevoir, telles que récapitulées par Lucien Jonas dans son agenda à la page du 24 mai 1936 : y figure une rubrique « Rousé, Doullens 7 000 frs » ; les autres commandes ainsi prévues concernent entre autre « la ville d'Anzin, 15 000 frs », « Avesnes, 2000 frs », « curé de Rumilly, 9 000frs » et « église d'Anzin, 1 000 frs ». La commande de Doullens s'avère, de par son coût, être d'une certaine ampleur.
Ce n'est qu'en octobre 1936 que Lucien Jonas commence la mise au point des peintures de Doullens, au retour d'un voyage à Bourges, où il a portraituré des soldats marocains du 5° régiment de tirailleurs. Les deux toiles destinées à décorer la salle du Commandement unique sont ainsi exécutées en fin 1936.
Albert Rousé, qui apparaît en être le commanditaire, propose le 26 Mars 1937 au maire de la ville de Doullens, de les offrir à cette dernière. Réuni le 7 avril 1937, le Conseil municipal accepte ce don, remerciant «chaleureusement le généreux donateur» et envisage de les «placer dans la salle spéciale, encadrant le vitrail commémoratif», ce qui tend à confirmer que le vitrail a été conçu et réalisé indépendamment du décor peint, imaginé par Albert Rouzé peu de temps avant de perdre son siège de maire, et pour lequel il avait fait appel à Lucien Jonas.
Le 29 juillet 1939, Lucien Jonas revient à Doullens, où il s'entretient du décor de la salle du commandement unique avec Albert Rousé et Paul Rudet, archiviste de la ville de Doullens ; y sont débattues les identités des participants à la réunion du 26 mars 1918 ; dans son agenda, Lucien Jonas parle à ce propos de « polémique ». Il retranscrit sur son agenda les noms de « Pétain, Loucheur, Foch, Weygand, Clemenceau et Poincaré », pour le côté français, de « Douglas Haig, Lord Milner, le général Wilson, Lawrence et Montgomery », pour le côté anglais[2].
VII-3 L’inauguration et la mise en place d'œuvres en lien avec le commandement unique
A la date du 20ème anniversaire du commandement unique, le 29 mars 1938, la salle réaménagée peut être inaugurée en présence des autorités civiles, militaires et religieuses. Le décor peint et le vitrail apparaissent au public comme «une vivante hallucination» d'un événement remontant déjà à 20 ans.
Par la suite, le décor de la salle du Commandement unique sera complété vraisemblablement après 1945 par l'insertion, dans le manteau de la cheminée monumentale, d'une copie ni signée, ni datée, en plâtre du médaillon à l'effigie de Foch, qu'avait réalisé en 1921 Albert Roze pour le calvaire de la reconnaissance. Il était aussi déposé dans l'âtre une autre copie du bas-relief représentant les têtes de trois soldats.
Deux autres dons sont venus s'ajouter à ce décor, à savoir - en octobre 1933, la tête, aussi en bronze, de Lord Milner, don de l'association France-Grande Bretagne, puis - en octobre 1948, la tête de Georges Clemenceau, réalisée en bronze par Georges Sicard et offerte par Mademoiselle Aunay, amie de Lady Milner. Ces œuvres seront en place lors des cérémonies du 11 novembre 1957.
VIII- Les peintures de Lucien Jonas
La genèse de l’œuvre de Lucien Jonas a pu être pour partie précisée et détaillée grâce au don opéré en 2012 par Jacques Jonas, fils du peintre, à la Ville de Doullens. Lucien Jonas avait en effet conservé dans son fond d'atelier trois dessins au crayon noir rehaussés à la gouache correspondant à l'avant -projet commandé en 1933 et mis au point en 1936.
- Deux de ces dessins sont présentés réunis côte à côte sur la même planche où est indiqué par des traits continus, le gabarit des panneaux à décorer et de la baie les séparant ; les deux dessins sont disposés sur leurs emplacements projetés ; des mentions manuscrites y ont été portées : d'une part, les dates « 1933 » , « 1936 » , d'autre part, les titres : « Clemenceau » sous le dessin de gauche, « Foch », sous le dessin de droite, enfin les noms des participants à la réunion de Doullens[3].
La date de 1933 semble bien correspondre à la remise à Lucien Jonas d'une planche sur laquelle étaient portées les dimensions des panneaux à couvrir de toiles peintes et leurs emplacements respectifs dans la salle du commandement unique, tous éléments nécessaires au peintre pour élaborer utilement un avant-projet, dans la perspective d'une commande à confirmer par la suite. Il est vraisemblable que Lucien Jonas y a représenté, dans un rapide croquis, les scènes qu'il envisageait de peindre, aux fins de les présenter à Albert Rousé.
Cette planche ne devait être reprise qu'au début de l'année 1936 ; L'intitulé des deux panneaux était alors modifié : le titre « Clemenceau » du panneau de gauche devient : « Avant la conférence » ; le titre de « Foch » du panneau de droite est substitué par celui de « Création du Commandement unique », ainsi que figurant sur les notices explicatives, gravées sur deux plaques distinctes de cuivre, encore conservées dans la salle du commandement unique :
- Un troisième dessin, non daté, concernait la toile de la « Création du commandement unique » et apportait des variantes à la première esquisse datée de 1936. Si aucune mention ou date n'y figure, ce dessin est bien au regard de ces variantes, postérieur à l'avant-projet sus évoqué. Cette variante sera ultérieurement remaniée dans la toile définitive.
Pour concevoir son projet décoratif, Lucien Jonas disposait, outre ses souvenirs personnels de
peintre aux armées[4], de plusieurs récits de la conférence, notamment ceux
de première main tirés des mémoires de Mordacq, Clemenceau, Poincaré et Foch, parus quelques temps auparavant, et d'un article de Louis Loucheur publié le 24 mars 1928, par le journal
hebdomadaire l'Illustration, enfin de l'ouvrage des doullennais Paul Carpentier et Paul Rudet sur la conférence de Doullens (cf. note 18) ; à leur lecture, venue corroborer ses propres
souvenirs et impressions, le peintre a retenu deux temps forts : l'attente dans le jardin de l'Hôtel de ville, juste avant la réunion, et la prise de parole du général Foch, en fin de
conférence, après les exposés sur la situation du front par les généraux Pétain et Douglas Haig, mais avant la rédaction par Georges Clémenceau du projet d'accord instituant, avec l'accord que
venait de lui réitérer Lord Milner, le principe d'un Commandement unique confié au général Foch. Ce faisant, il a renoué avec la tradition des panoramas, lesquels faisaient revivre par l'artifice
de grandes peintures décoratives et réalistes, les temps forts de l'histoire ou de l'actualité.
[1]Lucien Jonas, œuvres et agendas, 1931-1934, (1 vol.), ouvrage hors commerce réalisé en 2012 par Jacques Jonas,
[2]Lucien Jonas, œuvres et agendas, 1935-1939, (1 vol.), ouvrage hors commerce réalisé en 2012 par Jacques Jonas,
[3] Mentions manuscrites sous le dessin de gauche (Clemenceau) le gauche à droite groupe de gauche : Poincaré, Foch, Weygand, Byng, Mordracq (groupe en fond), Clemenceau, Loucheur (de dos) et Pétain. Pour le dessin (Foch), de gauche à droite Loucheur, Wilson, Foch, Clemenceau, Pétain, Douglas Haig (assis au premier plan), Poincaré, Milner, Weygand, Plumer et Bing, ces trois derniers étant debout .
[4]Jonas Lucien, « Comment j'ai peint les maréchaux Foch et French », in « Drogues et peintures », album d'art contemporain sur Lucien Jonas par Albert Acremant,, décembre 1936.
VIII-1 « Avant la conférence »
Dans la toile de gauche intitulée «avant la conférence», Lucien Jonas a pris soin de représenter en arrière-plan, la façade latérale du tribunal de Doullens, avec ses baies en demi-lune, l'angle Nord-Est de l'Hôtel de ville, les arbres du jardin situés au-devant du perron de l'Hôtel de ville et la grille de ce dernier. Des soldats anglais en arme cheminent derrière celle-ci. Ce décor, d'un réalisme sans concession, dégage une atmosphère lourde, où règne une lumière, grise et presque sombre ; il s'agit d'un paysage urbain, exact, austère et sans grand charme. Il fait écho à l'ambiance tendue et angoissée qui régnait alors à Doullens, bombardée les nuits précédentes par des avions ennemis, tandis que le son proche des canonnades était perceptible ce matin du 26 mars 1918.
L'attente des autorités civiles et militaires françaises réunies dans le jardin a duré de 10 heures 45 à 12 heures 20, pendant que Lord Milner, arrivé à 11 heures en compagnie du général Wilson, chef d'état-major général, faisait à l'intérieur de la mairie le point sur la situation militaire avec les commandants d'unités anglaises, présents depuis 10 heures 40.
Au premier plan de sa toile, Lucien Jonas a positionné, en trois groupes distincts, les autorités civiles et militaires attendant dans le jardin de la mairie de Doullens ; leur attitude trahit leur perplexité et leur anxiété devant l'avancée de plus en plus menaçante des troupes allemandes ; ces groupes ne sont pas pour autant figés, et l'on imagine que l'un ou l'autre des participants quitte un groupe pour rejoindre l'autre et poursuivre la discussion sur les mesures à prendre, dans l'attente de la rencontre prévue avec les délégués britanniques. Le groupe de gauche réunit Foch, le président Poincaré et Weygang, adjoint du premier. Celui de droite, Clemenceau, Loucheur et Pétain ; un troisième groupe, en retrait au milieu de la toile, est composé de Mordacq et Wilson.
La composition choisie par Lucien Jonas participe tout à la fois du reportage photographique pris sur le vif, une sorte d'instantané réalisé à l'insu des participants, et du récit héroïque dépassant les acteurs du drame en train de se jouer : le découragement, l'angoisse le disputent au courage et à la volonté déterminée de vaincre.[1]
L'esquisse sera reprise sans modification dans la toile apposée, en 1937, par marouflage sur le mur gauche de la salle du Commandement unique, hormis, toutefois, la présence d'Albert Rousé, dont la tête seule apparaît dans le groupe de droite entre Clémenceau et Louis Loucheur. Clin d’œil du peintre, en reconnaissance à son commanditaire, étant rappelé qu'Albert Rousé, maire et sénateur en exercice, était bien présent ce 26 mars 1918 à Doullens ; averti par le secrétaire de mairie de la présence de Poincaré et de Clemenceau, Albert Rousé, qui venait d'assister, accompagné d'Anatole Jovelet aux obsèques d'une habitante de sa ville, s'était porté, avec Anatole Jovelet, au-devant du Président Poincaré ; après quelques paroles de bienvenue, il l'avait interrogé pour savoir s'il ferait la paix, au cas où Amiens serait pris[2] ; l'élu local traduisait sans ambages le profond désarroi de la population éprouvée par presque quatre ans de guerre.
La scène représentée marque par son caractère statique et lourd, comme pour mieux rendre le sentiment d'oppression et l'angoissante incertitude, que partageaient les chefs militaires et politiques avec la population locale, représentée par Albert Rousé, maire. L'éloignement des groupes de personnages aux visages graves et leur dispersion sans ordre dans un paysage peu avenant viennent ajouter encore au sentiment d'abattement. L'avenir immédiat y est vécu comme sombre, oppressant et incertain.
VIII-2 « La création du Commandement unique »
La toile du Commandement unique a en revanche fait l'objet d'un processus d'élaboration plus complexe, ainsi que le montre le troisième dessin offert par Jacques Jonas :
- Dans l'esquisse en forme d'avant-projet, datée de 1933/1936, la pièce où se tient le Conseil est éclairée par 3 baies, ce qui n'est pas conforme à la réalité ; de même, le nombre des participants retenu par Lucien Jonas, 11 dont 7 assis et 4 debout, dont Foch, n'est pas celui relaté par Foch ( 12), ou par Loucheur, (10) ; par ailleurs, l'identité des participants donne lieu à des variations selon les souvenirs des différents témoins de l'épisode.
Pour sa part, Lucien Jonas qui a pris soin dans sa première esquisse de mentionner les noms des personnes représentées, les a regroupées autour d'une table en bois, occupant le centre du tableau. Foch est debout, derrière cette table, le bras tendu vers le bas ; sept sont assises tout autour, et celle, au premier plan, se penche pour ramasser une feuille tombée à terre, sans doute un premier brouillon du texte instituant le commandement unique ; trois autres participants restent debout en arrière-plan à droite ; l'esquisse ne comporte aucune figure allégorique et les baies laissent passer une lumière vive et à contre-jour.
- Dans la seconde esquisse, non datée, mais consacrée à la réunion proprement dite, le parti général est identique : une table occupe le centre de la composition ; Foch est toujours debout derrière cette table, le bras tendu cette fois vers le haut ; le nombre des participants, tous désormais assis, a été toutefois ramené à neuf, (non compris Foch) ; la pièce où se tient la réunion est toujours éclairée par trois baies rectangulaires diffusant une lumière vive, de laquelle surgissent entre les embrasures des fenêtres, comme portées par elle, les figures de cinq soldats en arme à droite, et de Foch avec son bâton de maréchal à gauche. Ce sont les allégories de la Victoire, en germe dans le texte instituant le commandement unique, que va rédiger Clemenceau, convaincu par l'exposé de Foch qu'il a écouté admiratif. Le général les désigne et les salue de son bras tendu. Ce recours à des figures allégoriques, habituel dans la peinture décorative, permet de raconter, en les superposant dans la même scène, plusieurs moments successifs.
En effet, la réunion proprement dite, qui a débuté vers 12 heures 20 ou 45, s'est déroulée sans protocole particulier, en utilisant le mobilier trouvé sur place, des tables d'écoles selon Loucheur , les tables des conseillers municipaux selon Carpentier ; cette réunion avait été précédée la veille à Compiègne d'une autre avec les mêmes participants, qui se connaissaient ; aussi ont-ils tout naturellement dans un premier temps, échangé debout et librement leurs impressions ; Pétain et Douglas Haig ont ensuite brièvement exposé les positions et l'état des unités faisant face aux allemands. Finalement, le président Poincaré a invité les personnes présentes à s'asseoir, Lord Milner se plaçant à sa droite, Douglas Haig et son chef d'état-major, le général Lawrence, à sa gauche. Clemenceau lui faisait face de l'autre côté de la table, encadré par Pétain et Loucheur d'un côté, Foch et Weygand de l'autre ; Foch, resté debout, a conclu les exposés des commandants d'armée, en affirmant avec conviction et passion : « il faut vaincre devant Amiens ». Clemenceau a alors présenté un projet de note, sur lequel s'est engagée une discussion, conduite par Poincaré et à l'issue de laquelle des modifications ont été apportées au texte initial. Loucheur en a ensuite établi deux copies.
Afin de mieux rendre l'atmosphère de cette réunion du 26 mars, Lucien Jonas a pris le parti de faire coïncider, dans un raccourci narratif, l'exposé du général Foch, le débat entre les participants, la décision de création du commandement unique et ses conséquences heureuses sur la Victoire. De même, il a juxtaposé une réalité oppressante et un avenir plein d'espoir par le recours à un monde imaginaire et allégorique ; cette rhétorique est à rapprocher de la grande toile de la mort de Carpeaux réalisée par Albert Maignan-Larivière[3] et conservée au Musée d'Amiens : de grandes figures ailées descendent dans une nuée vers le sculpteur expirant assis dans son fauteuil. La réalité est ici transcendée, sublimée par la présence de ces figures d'outre-ciel, pour ne pas dire surnaturelles.
La toile, qui sera marouflée sur le mur droit de la salle de l'Hôtel de ville, reprend la même composition, avec le souci de conférer à la scène une plus grande monumentalité : c'est ainsi que la position en diagonale de la table, qui déterminait une ligne de fuite vers le fond de la pièce, accentuée par la répartition des participants assis de part et d'autre de celle-ci, sera abandonnée au profit d'une représentation plus frontale ; les participants, au nombre de 11, à présent tous assis hormis Foch, y sont placés soit de face, soit de dos ; la table occupe, sur un plan désormais longitudinal, le devant de la scène ; deux participants assis au premier plan, encadrent et délimitent ainsi le champ de vision ; il s'agit de généraux britanniques Montgomery à gauche, et Douglas Haig à droite, tous deux chaussés de hautes bottes de cuir fauve, qui ouvrent une perspective en profondeur en direction du général Foch, lequel, debout derrière la table, tend le bras droit vers le haut, le bras gauche prenant appui sur le plateau de celle-ci ; le motif anecdotique voire incongru du général Montgomery se penchant vers l'avant pour ramasser une feuille de papier à terre a été conservé de l'avant-projet initial : y a été ajouté, presque en écho, celui du Président Poincaré qui, de la main gauche, laissée pendante vers le sol, chiffonne une feuille de papier, comme pour mieux souligner les incertitudes et réticences ayant présidé à l'institution du commandement unique ; ces deux gestes donnent à la scène un réalisme en contrepoint de la représentation idéalisée de Foch.
Ce dernier parle avec animation et ardeur, et ses auditeurs sont comme subjugués. Lucien Jonas s'est aussi efforcé de mieux équilibrer la masse que représentait l'ensemble des participants assis : le groupe de personnes assises à gauche en comprend désormais quatre[4] et non plus trois, comme dans le dessin intermédiaire ; celui de droite réunit comme dans une sorte de face à face, d'un côté Clemenceau, Pétain et le général Wilson (au fond), de l'autre côté de la table, Lord Milner, puis tournant le dos au spectateur, le Président Poincaré et le général Douglas Haig.
Le peintre détaille, avec des touches de pinceau rapides et nerveuses, les dix participants au Conseil de guerre à la manière d'un panorama, à partir du plan horizontal constitué par le plateau de la table, lequel entraîne le regard depuis la gauche vers le fond de la pièce à droite, là où vont apparaître en hauteur les figures allégoriques des soldats de la Victoire et de leur chef. Les visages des personnalités présentes sont traités de façon réaliste, dans un dessin vif où la véracité des physionomies va de pair avec une perspicacité pleine de psychologie ; ainsi en-est-il du visage de Foch, plein de confiance communicative et d'ardeur, selon l'expression de Paul Carpentier. Ou encore le visage impassible mais songeur de Pétain.
Enfin, aux groupes sus-évoqués, Lucien Jonas superpose une seconde vision de la conférence, en privilégiant le groupe, constitué de Foch, Clemenceau et Pétain, soit les protagonistes directs du Commandement unique : Clémenceau ayant dans un premier temps envisagé de désigner Pétain, avant de se raviser au profit de Foch, Pétain raide et tendu, acceptant alors son retrait dans l'intérêt du pays. Foch, convaincu, volontaire et transcendé par sa mission de gagner la guerre. Le soin ainsi apporté à sa composition a permis à Lucien Jonas de rendre presque minute par minute le déroulement de la réunion et les tensions qui l'ont traversée.
Dans un souci tout à la fois de réalisme et d'exactitude, Lucien Jonas a ramené de 3 à 1 le nombre des baies, conformément à celui existant dans cette partie de mur de la salle du commandement unique. A partir de cette unique baie, la lumière, venant de l'extérieur, est diffusée plus uniformément et entoure d'un halo les figures des cinq soldats disposés comme pour une revue, deux de profil, en vis à vis, de chaque côté, à gauche et à droite, les trois autres de face : au centre un soldat français casqué et en habit de campagne, les deux soldats de gauche représentant les différentes composantes du BEF (British Expeditionnary Force), dont les canadiens. Le soldat de droite semble être un annamite, évocation des Labour Corps ; le général Foch apparaît, quant à lui, sur la gauche, avançant, et tenant dans sa main droite son bâton de maréchal. Le soldat debout complètement à droite est Lucien Jonas lui-même, dont on reconnaît le profil caractéristique et qui a tenu à figurer, dans cet épisode, qu'il immortalise.
La scène s'est trouvée ainsi simplifiée grâce à une composition plus ramassée et à une
opposition plus soutenue entre la clarté bleutée enveloppant les allégories et la masse plus sombre des participants ; elle gagne aussi en intensité et fait corréler le choix difficile du Commandement unique et la Victoire, que désigne, de son bras tendu, Foch. Pour autant, la scène
reste réaliste, tels le détail repris du témoignage de Louis Loucheur, des tables d'école recouvertes de papier gris, des chaises provenant de l'école voisine, un mobilier sommaire, dépourvu de
toute luxe, contrairement à celui représenté dans le vitrail dessiné par Gérard Ansart, qui a repris le mobilier officiel de la salle .Pour autant, Lucien Jonas prend quelque liberté avec la
réalité historique pour ce qui concerne l'identité exacte des participants, dans le souci de ne pas alourdir la composition de sa toile, étant relevé que, 20 ans après l'événement, une certaine
imprécision entoure les noms des participants.
[1]Dans son livre « Le Commandement unique », le général Mordacq rapporte : « Il faisait froid, et pour se réchauffer, on se promenait par petits groupes dans le square qui se trouvait devant la mairie, les petits groupes s'arrêtant de temps en temps pour engager la conversation. La scène ne manquait pas de grandeur et d'originalité : sur le chemin qui borde le square même, on voyait passer des troupes anglaises, qui se retiraient lentement, avec ordre, sans donner la moindre trace d'une émotion quelconque. » p.77
[2]Carpentier Paul et Rudet Paul, « La conférence de Doullens du 26mars 1918 et la réalisation du commandement unique », Edit. A. Pedone, Paris, 1933, 114 p. Les auteurs mentionnant la présence d'Anatole Jovelet, non représenté dans la toile de Lucien Jonas ; l'attente dans le jardin a duré de 11 heures à 12 heures 10 (ou 45), avec, comme bruit de fond, les canonnades au loin.
[3]Maignan-Larivière, (Beaumont sur Sarthe, 1845- Saint-Prix, 1908). Il présente au Salon de 1892 son tableau la mort de Carpeaux, et reçoit la médaille d'honneur. Le tableau, acquis par l’Etat, pour être accroché au Musée du Luxemburg, a été envoyé en 1926 au musée de Picardie d'Amiens, qui l'a toujours en dépôt.
[4]De gauche à droite : Montgomery, (de dos), Mordacq, Loucheur et Weygand.
VIII- Le vitrail de Pierre et Gérard Ansart (1937)
La représentation toute vibrante de vie et de passion de la conférence de Doullens peinte par Lucien Jonas, se démarque de celle imaginée par Pierre et Gérard Ansart, qui procède plus de la photographie officielle de congrès ; les participants, les uns debout, les autres assis, y sont immobiles, sans expression ; le mobilier est celui de cette salle de réunion, toujours en place, hormis le manteau nu de la cheminée. Deux visions différentes du même événement, au-delà des techniques artistiques utilisées et des contraintes liées à l'étroitesse relative de la baie, obligeant à une composition en hauteur : les participants sont bien au nombre de onze, mais leurs positions respectives différent de celles retenues par Lucien Jonas ; il s'agit d'une autre vision de la conférence.
Cet aménagement de la salle du Commandement unique, tel que conçu, surprend heureusement par la juxtaposition sur le même mur, d'un décor peint monumental, en forme de panorama et d'un grand vitrail créant un effet de perspective en profondeur, où la même scène s’emboîte l'une dans l'autre. Ce vitrail fait aussi écho au grand vitrail républicain ornant l'escalier d'honneur de l'Hôtel de ville, offert en 1898 par Charles Saint et dessiné par Anatole Bienaimé, architecte de l'édifice. Un lecteur de La vie parisienne avait, dans une lettre rapportée par le journal Le « Petit Doullennais » du 6 novembre 1920, suggéré, non sans provocation, de la remplacer par un vitrail à sujet historique, un saint Georges ou «l'évocation de la scène des chefs et la date de leur délibération historique». Il n'est pas exclu que Pierre Ansart ait repris cette critique pour concevoir son projet.
La salle de l'Hôtel de ville, transformée en lieu sacralisé- devenu reliquaire, expose, posé sur une table de réunion, le fac-similé du manuscrit raturé, rédigé nerveusement par Poincaré, et investissant Foch du Commandement unique. Le généralissime, du haut de son médaillon, pose son regard intense sur ce document, et habite désormais ce local, «berceau de la Victoire».
IX- Le temps du souvenir
L'historique du décor de la salle du Commandement unique montre combien cette commémoration a été malaisée et difficile à mettre en œuvre, sans égard au fait que plusieurs villes revendiquent aussi ce précieux souvenir. Loin d'avoir été évidente, l'idée d'une « cristallisation » de ce lieu de mémoire a éclos progressivement, presque par inadvertance, au terme d'un cheminement complexe. Elle rappelle que, dans ce local, mis en valeur par les œuvres d'art qui y ont été placées depuis, s'est joué le sort d'une guerre devenue impitoyable et inhumaine. Elle offre aussi le plaisir de contempler dans le calme et la sérénité, un chef d’œuvre méconnu de Lucien Jonas, alors grand maître de la peinture décorative ; l'artiste y a su avec dans un style rapide et évocateur, faire revivre, dans une transcendance, inhérente à toute œuvre d'art, ce moment d'histoire, certes fugace, voire anecdotique, qui a pour autant décidé du cours d’événements, devenus dramatiques.
Louis Jonas s'est inscrit dans la longue tradition de la peinture d'histoire ; il a su magnifier l'épisode du 23 mars1918 de Doullens et lui donner ainsi un souffle épique, en écho au souhait profond d'Albert Rousé, qui avait eu aussitôt l'intuition de son importance dans le difficile et redoutable chemin ayant conduit la France à la Victoire.
Consécration officielle de ce lieu de mémoire, la salle du Commandement unique a été classée Monument Historique par arrêté du 23 mars 1998.
Les Œuvres de la salle du Commandement unique
1) Vitrail dit du Commandement unique
h. 2, 70 m, l. 1, 60 m.
Divisé en 15 panneaux de 0, 520m x 0, 520m, 3 en largeur, 5 en hauteur.
Signé en bas à gauche dans la bordure du cadre « P et G Ansart inv » et à droite « Jean Gaudin. pinx ».
La scène du commandement unique est inscrite dans un cadre entourant l'encadrement de la baie. En partie basse, un cartouche avec au centre un écu aux armes de la Ville de Doullens et de chaque côté, une transcription du texte du commandement unique et sous la scène, la désignation de chacun des participants, avec leur emplacement.
En partie haute un trophée de drapeaux français et anglais avec au centre un médaillon où se détache la tête d'un coq chantant.
2) Peintures de Lucien Jonas
Deux toiles marouflées sur le mur ouest du salon de l'hôtel de ville de Doullens
2.1) Huile sur toile marouflée, maintenue par une baguette plate en bois
h. 3, m, l. 3, 30 m,
Tableau signé, daté en bas à droite avec peinture rouge : « Lucien Jonas /1936 »
Un cartouche en cuivre, non fixé au mur, est déposé sur l'allège de la baie ouest de la salle :
« Avant la conférence, / notice explicative.
Dans la matinée du 23 mars 1918, les hautes personnalités civiles et militaires françaises, dont le président Poincaré, président de la République, qui avait la direction de la guerre, se sont réunis à Doullens pour aviser de la situation critique qui s'est produite sur le front de bataille. On les voit stationnant dans le jardin de l'hôtel de ville où elles furent reçues par M.Rousé, sénateur-maire. Elles attendent l'arrivée de la délégation anglaise pour entrer en séance.
L'heure était grave et angoissante, les Allemands venaient de déclencher une offensive formidable et tentaient de séparer l'armée britannique de l'armée française.
Don fait par M. Rousé, sénateur de la Somme et maire de Doullens pendant la grande guerre. »
2.2) Huile sur toile marouflée, maintenue par une baguette plate en bois ; h. 3, m, l. 3, 30 m,signé, daté en bas à droite avec peinture rouge : « Lucien Jonas /1936 »
Un cartouche en cuivre, non fixé au mur, est déposé sur l'allège de la baie ouest de la salle :
« Création du commandement unique / conférence franco-anglaise.
Debout, le général Foch expose son plan de combat et précise les
opérations stratégiques qui s'imposent d'abord pour rétablir l'unité du front et ensuite pour contraindre l'ennemi à battre en retraite et capituler. Après cette audition, l'assemblée, sur la proposition de Clemenceau,
appuyé par Lord Milner, décide de maintenir aux généralissimes Pétain et Douglas Haig leurs respectives et de confier au
général Foch, qui s'était illustré dans la Marne et en Belgique sur l'Yser, le commandement unique des armées alliées.
Cet événement peut être le plus important de la guerre pour mériter
d'être perpétué dans la salle même où il s'est
produit.
Don fait par M. Rousé, sénateur de la Somme et maire de Doullens pendant la grande guerre. »
Plaque en cuivre
2.3) Avant -projet avec emplacement projeté pour chacune des deux toiles
- dessin au crayon noir, avec rehauts de gouache; 0, 55 m, l. 0, 75 m. Les deux scènes mises en situation ont pour dimension : 23 cm x 15 cm
Signé daté sur chaque scène « L.J 1936 ».
Sous une ligne noire délimitant le bas du panneau décoratif sont portées les mentions :
(à gauche) « Clemenceau » A Doullens dans le jardin de l'Hôtel de ville, (à droite : «Foch». '
En bas sont portés les noms des personnages représentés.
- Musée Lombart de Doullens, don de Jacques Jonas, 2008
- Exposition : « Un peintre dans la tourmente de la Grande Guerre, Lucien Jonas, Mairie de Doullens, 25 mars-6 avril 2008.
2.4) Foch exposant son plan.
- dessin au crayon noir, avec rehauts de gouache ; h.0, 60 m, l. 0, 80 m.
Signé, daté «L.J 1936».
La planche ne comporte aucune mention manuscrite explicative.
- Musée Lombart de Doullens, don de Jacques Jonas, 2008
- Exposition : « Un peintre dans la tourmente de la Grande Guerre, Lucien Jonas, Mairie de Doullens, 25 mars-6 avril 2008.
3. Sculptures
3.1) Foch
Buste en ronde bosse, plâtre : h. ; 0, 40 m, larg. : 0,35 m, prof : 0, 25 m.
Non signé ni daté.
Il s'agit d'une copie du buste réalisé en 1919 ? par le sculpteur tarbais Firmin Michelet (1875-1951) Un exemplaire de ce buste en bronze se trouve à la mairie de Valentine ; le monument à la mémoire de Foch, élevé en octobre 1931 par la ville de Lourdes comporte le même buste posé sur une stèle. Cet artiste a réalisé les statues de Foch debout, érigées à Rethondes et à Bouchavesnes-Bergen. Il a également sculpté les médaillons qui figurent sur la façade de la mairie de Bouchavesnes.
3.2) Foch
Médaillon en ronde bosse ; Plâtre : diam. 0, 60 m, prof : 0, 28 cm.
Non signé ni daté. Sous le médaillon, est écrit : « à Foch »
3.3) Georges Clemenceau (1841-1929)
Tête sur socle de marbre vert. Bronze: h.; 0, 35 m, larg.: 0,25 m, prof: 0, 25 m.
Non signé ni daté.
Il s'agit d'un tirage en bronze d'une sculpture de François Sicard (Tours, 1862- Paris 1934), offerte en octobre 1946 à la ville de Doullens par Melle Aunay, amie de Lady Milner.
3.4) Lord Alfred Milner (1854-1925)
Tête sur socle de marbre vert. Bronze: h.; 0, 35 m, larg.: 0,25 m, prof: 0, 25 m.
Non signé ni daté.
Il s'agit d'un tirage en bronze d'une sculpture réalisée en 1928 par François Sicard (Tours, 1862-
Paris 1934), offert en octobre 1933 à la ville de Doullens par l'association France -Grande-Bretagne.
4 Maquettes
4.1) Maquette du monument équestre du Maréchal Foch à Cassel.
Cette maquette en plâtre a été offerte à la ville de Doullens par Albert Rousé en août 1938. Cette maquette figure sur le tirage photographique de la salle du Commandement unique réalisé juste avant la guerre 1939/1945 par R Meyrieux à Arras ; ce cliché est visible au Musée Lombard de Doullens, où il est conservé.
La statue équestre de Foch a été réalisée par le sculpteur Georges Malissard, qui a exposé son travail au Salon de Paris (SAF) de 1928 ; l'architecte du monument est Arthur Lepers ; son inauguration a eu lieu le7 juillet 1928.
Ce plâtre a été déposé par la ville de Doullens à l'Historial de Péronne.
4.2) Maquette du monument aux morts de Doullens
Plâtre ; long. 0, 60 cm, larg. : 0, 30 cm, prof. : 0,27 cm